Les récents propos du président Emmanuel Macron, qualifiant certains dirigeants africains d’ingrats, m’ont profondément choqué. Ces déclarations condescendantes et néocoloniales réveillent des souvenirs douloureux et montrent une ignorance, voire un mépris, des sacrifices consentis par ces peuples africains pour se libérer de la domination coloniale.
Étant camerounais, je vais prêcher pour ma paroisse. De 1955 à 1971, le Cameroun a été le théâtre d’un conflit sanglant opposant l’Union des populations du Cameroun (UPC), mouvement nationaliste, à l’administration coloniale française. Consciente que l’indépendance proclamée en 1960 n’était qu’une façade, l’UPC a mené une lutte acharnée contre la domination française pendant plusieurs décennies.
Qualifiée d’organisation terroriste par les autorités françaises, ses militants ont été contraints de se réfugier dans l’ouest du Cameroun, où l’armée française a utilisé des méthodes brutales pour réprimer cette résistance, notamment en rasant des villages avec du napalm. Contrairement à une croyance répandue, le napalm n’a pas été utilisé pour la première fois au Vietnam, mais bel et bien au Cameroun. Cette utilisation du napalm a causé des destructions massives, réduisant en cendres des villages entiers et causant des pertes humaines incommensurables.
La guerre d’indépendance du Cameroun, souvent occultée dans les récits historiques français, a coûté la vie à des centaines de milliers de Camerounais. Demander à un pays ayant subi de tels traumatismes de témoigner de la gratitude envers ses oppresseurs est une insulte.
Les propos de Macron m’ont fait penser à Martin Ebele Tobbo, un ami de mon père que j’ai rencontré à Nairobi. Dans les années 1970, alors que le régime d’Ahmadou Ahidjo régnait par la terreur, Martin Ebele Tobbo participa à des campagnes de sensibilisation, distribuant des tracts qui dénonçaient l’injustice, la corruption et la répression brutale du régime. Son engagement le conduisit à être arrêté et emprisonné pendant neuf longues années dans les camps de concentration du Nord Cameroun, notamment à Tcholliré.
Ce long séjour en prison l’a profondément marqué, tant sur le plan physique que psychologique. La détérioration de sa santé, conséquence des conditions de détention, en est la preuve. Martin Ebele Tobbo nous a quitté il y a un peu plus d’un an.
Les propos de Macron m’ont également fait penser à mon oncle, David Kom, qui, comme Martin Ebele Tobbo, a connu la dure réalité de l’incarcération pour ses convictions, et a payé un lourd tribut pour ses idées. Dans la populaire série américaine The Fresh Prince of Bel-Air, lorsque Will Smith trouve refuge chez Uncle Phil à Bel-Air, il découvre une figure paternelle, un mentor, et un modèle de droiture. Pour moi, tonton David a incarné ce rôle lorsque j’ai décidé de partir en France pour tenter ma chance et devenir joueur de football professionnel.
Il m’a ouvert les portes de sa maison sans hésitation. Ce qui rend ce geste encore plus touchant, c’est que je n’étais pas directement lié à lui par le sang : j’étais simplement le neveu de son épouse. Pourtant, il m’a toujours traité comme son propre fils et je lui serai toujours reconnaissant pour sa générosité et sa bienveillance à mon égard.
Au-delà de son rôle familial, mon oncle David était également un homme de conviction. Dans son livre L’Émancipation au Cameroun : Un Upéciste témoigne, il partage son expérience et ses réflexions sur la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Ce livre est une lecture essentielle pour comprendre les sacrifices des militants de l’UPC dans leur quête de liberté et de justice.
En tant que personne ayant une affection particulière pour Martin Ebele Tobbo et David Kom, je ne pouvais rester silencieux face aux déclarations de Macron sur ‘l’ingratitude’ de certains pays africains envers la France. J’ai raconté les histoires de ces deux martyrs pour rappeler les injustices subies par des générations entières de Camerounais. J’estime qu’il est essentiel de se souvenir de leurs sacrifices et de continuer à œuvrer pour la véritable indépendance du Cameroun.
Le président Macron a promis de déclassifier les dossiers relatifs à cette période sombre de l’histoire franco-camerounaise. Cette déclassification est attendue avec impatience, car elle pourrait enfin révéler toute la vérité sur les atrocités commises et rendre justice aux victimes. La vérité et la justice sont des éléments cruciaux pour la réconciliation.
Récemment, j’ai retrouvé un courriel que m’avait envoyé tonton Martin Ebele Tobbo en 2006, après avoir lu un de mes articles. Il m’écrivait : “Mon fils, j’ai une sincère admiration pour toi. Tu sors d’une famille qui a donné tout un héros à l’histoire camerounaise. Je me réfère à Ernest Ouandié. C’est ton destin et une espèce de fatalité que tu dois assumer en te hissant au sommet de l’excellence.” Ces mots résonnent aujourd’hui avec encore plus de force. Il est peut-être temps de me hisser à la hauteur des espoirs placés en moi.
Hopiho