POURQUOI NOUS AVONS BESOIN DU MOIS DE L’HISTOIRE DES NOIRS

Récemment, je lisais un e-mail de mon père en réponse à un ami, qui l’accusait d’être un de ces «Africains qui voient la main des puissances impérialistes partout pour justifier les échecs du continent». Cette remarque faisait suite à un article du magazine Jeune Afrique publié en 2012 qui révélait que le Cameroun était classé 190e sur 191 pays en matière de d’accès aux soins de santé. Son ami insinuait que mon père rejetait systématiquement la faute sur les Occidentaux pour tous les maux de l’Afrique.

La réponse de mon père fut cinglante. « Si ces incompétents ne nous avaient pas imposé Ahidjo et son successeur désigné à la sortie de la colonisation, nous n’en serions pas là aujourd’hui », écrit-il dans un texte puissant, chargé d’histoire, d’économie et de politique. Il exprima son exaspération face à l’ingérence occidentale, au néocolonialisme perpétué par des institutions comme le Franc CFA et la Banque mondiale, et au mépris constant envers les Africains.

Pendant que je lisais cet échange, j’avais en parallèle une conversation avec une amie, d’origine africaine. Elle affirmait que les Africains avaient une mentalité de victime et que le Mois de l’Histoire des Noirs (Black History Month) devrait être aboli. Selon elle, reconnaître les injustices passées et présentes serait une façon de se complaire dans le passé plutôt que d’avancer. Elle prétendait que l’Afrique ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même pour son retard.

J’étais abasourdi par ses propos. Comment pouvait-elle ignorer que les rapports de force économiques et politiques ne se sont jamais réellement inversés depuis l’indépendance des pays africains? Comment pouvait-elle balayer d’un revers de main les réalités qui pèsent sur nos communautés sous prétexte qu’il faut «avancer»?

Je ne vous cache pas que la conversation m’a irrité, car ce genre de discours n’est pas anodin. Il fait écho à des idées véhiculées par des suprémacistes blancs et par ceux qui préfèrent ignorer les injustices historiques et contemporaines. Mais refuser de voir l’oppression ne l’efface pas. L’histoire du colonialisme, du pillage économique et du racisme structurel n’est pas une “excuse” que l’on ressasse, c’est une réalité qui façonne encore nos vies aujourd’hui.

Les Noirs ont été dépossédés de leur histoire, de leurs richesses, et de leurs droits pendant des siècles. Vouloir que cette mémoire disparaisse, c’est perpétuer le silence qui a toujours été imposé aux victimes.

Doit-on abolir le Mois de l’Histoire des Noirs?

L’abolition du Black History Month ne mettra pas fin au racisme et aux inégalités. Son but est précisément de rappeler des vérités que l’histoire officielle préfère ignorer.  Les écoles occidentales enseignent une version édulcorée du passé. On parle de l’abolition de l’esclavage sans mentionner que les anciens colons ont été indemnisés pour leurs «pertes».

Haïti en est l’exemple le plus marquant : après son indépendance en 1804, la France lui a imposé en 1825 une indemnité de 150 millions de francs-or. Cette dette, que Haïti a mis plus d’un siècle à rembourser, a lourdement freiné son développement économique.

Et Haïti n’est pas un cas isolé: plusieurs anciennes colonies africaines ont continué à verser des compensations sous diverses formes, notamment à travers des accords économiques déséquilibrés et le maintien de structures de domination post-coloniales comme le franc CFA.

On parle souvent du “miracle” économique occidental en faisant référence à la croissance spectaculaire et au développement rapide qu’ont connus les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale, mais on oublie de préciser que ce soi-disant miracle n’est pas simplement le fruit d’une bonne gouvernance ou d’une prétendue supériorité intellectuelle ou morale. Il repose largement sur le pillage des ressources africaines. C’est pourquoi il est hypocrite de dire aux Africains qu’ils doivent juste “travailler plus dur” ou “cesser de se victimiser” sans reconnaître les structures historiques et économiques qui ont maintenu le continent en position de faiblesse. 

Loin d’aider l’Afrique, la Banque mondiale et le FMI ont mis en place des politiques d’austérité qui ont détruit nos économies locales. Comme l’explique Dambisa Moyo dans Dead Aid, l’aide internationale a souvent été un instrument de contrôle. John Perkins, dans Confessions of an Economic Hitman, décrit comment des experts occidentaux manipulent les dirigeants africains pour favoriser des multinationales étrangères au détriment du peuple. 

Face à ces réalités, prétendre que les Africains « se complaisent dans un rôle de victime » relève d’un déni pur et simple. Ce qui nous freine, ce n’est pas le Mois de l’histoire des Noirs, mais un système mondial qui perpétue la dépendance et l’exploitation. Le vrai problème n’est pas l’existence du Blak History Month, mais le fait qu’il soit encore nécessaire.

Pourquoi certains Noirs reprennent-ils ces discours anti-Noirs?

L’Afrique n’a jamais eu de véritable indépendance économique, et chaque tentative d’émancipation a été réprimée par des coups d’État orchestrés depuis l’extérieur. Quand un Noir répète que “l’Afrique est sous-développée par sa propre faute”, il oublie que chaque fois qu’un leader africain a tenté de rendre son pays autonome (Lumumba, Sankara, etc.), il a été éliminé ou renversé.

Nous ne sommes pas en retard. Nous avons été freinés. Mais l’histoire montre que rien ne dure éternellement. « Nous sommes dans le cycle qui conduit au sommet, et bientôt viendra notre tour de dominer le monde », écrivait mon père. «Ce n’est pas une incantation, c’est la vérité des faits.» 

L’Afrique n’a pas dit son dernier mot, mais pour avancer, il faut refuser de se laisser endoctriner par des discours de mépris. Nous devons lire, comprendre notre histoire et rejeter les idées qui nous affaiblissent de l’intérieur.

S’il y a qu’une chose à retenir de ce pavé, ce sont ces mots de Lino dans la chanson Ils m’appellent 

On m’a dit oublie l’esclavage, Mais j’ai la haine comme Kassovitz

On demande pas aux juifs d’oublier Auschwitz

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