Après une période d’absence, je suis enfin de retour. Étant donné que les derniers mois de l’année 2019 ont été très intenses, je n’ai pas eu beaucoup de temps à consacrer au blogging.

Tout d’abord, au mois d’octobre, j’ai sorti mon album Ton Préféré. Ensuite, pendant les semaines qui ont suivi, j’ai fait la promotion du projet auprès de tout journaliste qui était prêt à écouter mon histoire. J’ai notamment accordé une interview à So Foot, mon magazine préféré. J’avoue que voir ma gueule sur leur site était assez surréaliste. Je n’en reviens toujours pas. Comme quoi, les rêves se réalisent de temps en temps…

Outre ma discussion avec So Foot, une des interviews que j’ai vraiment appréciée est celle que j’ai accordée à Mookh Mag. Vous pouvez la consulter ici. Vous ne parlez pas la langue de Shakespeare ? Pas de problème ! Je l’ai traduite pour vous. Bonne lecture !

Quelle est la première expérience musicale qui vous a incité à vous lancer dans une carrière de rappeur ?

Lorsque j’étais jeune, faire de la musique ne faisait pas partie de mes ambitions. Adolescent, j’étais obnubilé par le sport et je rêvais de devenir un footballeur professionnel. À 15 ans, j’ai donc convaincu mes parents qu’il fallait que j’aille en France afin de réaliser mon rêve. Ils m’ont soutenu pendant toute l’aventure, et je leur en suis très reconnaissant. Malheureusement, je ne suis pas devenu un footballeur professionnel, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Pour moi, la musique était juste un passe-temps que je faisais avec des amis, et petit à petit, l’appétit est venu en mangeant. À force d’écrire des chansons, j’y ai pris goût. Aujourd’hui, je suis accro à la musique, et je ne peux plus me passer d’elle.

Comment votre son a-t-il évolué depuis vos débuts?

Au départ, j’étais une pâle copie des rappeurs américains. J’étais jeune et influençable, donc je copiais bêtement tout ce qu’ils faisaient. Par exemple, lorsque le chipmunk soul était à la mode, j’ai fait des tas de chansons dans cette veine-là. Aujourd’hui, c’est différent. J’ai beaucoup appris, j’ai mûri et j’ai désormais une vision claire. Au lieu de suivre les tendances, j’essaie de les créer.

Je me suis libéré de tout complexe et j’assume pleinement qui je suis. Je n’essaie plus de faire comme les rappeurs américains. Je n’essaie plus de camoufler mon accent. Ma musique est maintenant plus en phase avec mon identité. Je suis à l’aise dans ma peau et droit dans mes bottes, et je pense que cela se ressent dans ma musique.

Vous avez vécu dans différents pays, notamment en France, au Canada, au Cameroun et au Kenya. Ces expériences ont-elles eu un impact sur votre son?

Les voyages que j’ai effectués au cours de ma vie m’ont ouvert l’esprit, c’est sûr. IIs m’ont permis de découvrir d’autres cultures et ont sûrement façonné la manière dont je vois le monde. Cependant, je pense que ces voyages m’ont surtout permis de rencontrer des gens  extraordinaires et super talentueux. Si je n’avais pas vécu au Kenya, je n’aurais jamais rencontré So Fresh NP, le jeune musicien kenyan qui a composé près de 80% des beats sur l’album Ton préféré.

Grâce à tous les voyages que j’ai effectués au cours de ma vie, j’ai pu former une équipe talentueuse, dont les membres viennent des quatre coins du monde. Outre So Fresh NP, j’ai également travaillé avec la chanteuse Sabaya, qui est franco-ivoirienne. Mon ingénieur de son, Tom Lapointe, est québécois. Mon guitariste Diego M est colombien. Ce sont toutes ces rencontres qui ont façonné l’artiste que je suis.

Ton préféré est un album où la majorité des paroles sont en français, mais cela n’a pas empêché plusieurs auditeurs anglophones d’apprécier l’album à sa juste valeur. Si j’ai été en mesure de transcender les barrières linguistiques, c’est tout simplement parce que j’ai su m’entourer de personnes venant d’horizons différents. Elles ont apporté des perspectives intéressantes, et  cela m’a permis d’éviter le groupthink.

Comment comparez-vous la scène hip-hop dans les autres endroits où vous avez vécu à celle du Cameroun?

Le Cameroun est un pays où le hip hop a du mal à s’imposer. Les Camerounais préfèrent la musique nigériane, la musique ivoirienne et la musique congolaise. Lorsqu’on regarde les music charts de YouTube, on se rend compte que Maître Gims est le seul rappeur dans le top 10 des artistes les plus populaires. Il arrive à la 7^e place et est devancé par Fally Ipupa,  Singuila, DJ Kerozen, Innoss’B, Dadju et DJ Arafat (NDLR : il s’agit des statistiques  du mois de novembre 2019).

Comme vous le constatez, le rap n’est pas le genre musical le plus populaire au Cameroun. Est-ce que ça me décourage? Absolument pas. Au contraire, je trouve que c’est un beau défi à relever.

Vous avez été très occupé : vous avez  lancé un projet en 2018 et 2019. Quelle est la différence entre Ton Préféré  et Un Lion Parmi Les Hommes ?

18 mois séparent ces deux albums. Je pense que pendant cet intervalle, j’ai énormément progressé. Je suis devenu un meilleur rappeur, et je peux affirmer avec certitude que Ton préféré est l’album le plus abouti de ma carrière. L’album est concis, car je ne voulais pas faire la chanson de trop. Je voulais vraiment sortir un produit homogène où toutes les chansons sont de qualité supérieure, et  je pense sincèrement avoir atteint mon objectif. 

Pour l’instant, le feedback est assez positif : la plupart des gens ont apprécié l’album. Le seul commentaire négatif que j’ai reçu provient des gens qui estiment que l’album est trop court. Je prends ça comme un compliment. J’en déduis que ces personnes auraient aimé que le plaisir soit prolongé. 

J’ai remarqué que deux chansons (Indomptable et Seul) de l’album Un Lion Parmi Les Hommes ont été remixées sur Ton Préféré. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de remixer ces chansons ?

Seul et Indomptable étaient les deux meilleures chansons de l’album précédent, qui n’a pas eu le succès commercial escompté. Ces deux chansons sont extraordinaires, donc il fallait que je les ressuscite à tout prix. Je ne voulais surtout pas qu’elles tombent dans l’oubli.

En les remixant, j’ai allongé la durée de vie de ces morceaux. Les auditeurs, qui aiment les remixes, seront intéressés à découvrir les versions originales et les auditeurs, qui avaient aimé les versions originales, auront hâte d’écouter les remixes.

L.E.F. 2019, la dernière chanson de Ton Préféré, met en vedette la Chorale du CRI et parle de la détérioration des conditions de vie au Cameroun. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Au Cameroun, deux provinces sur dix sont anglophones : il s’agit des provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les anglophones représentent environ 20 % de la population camerounaise. Bien que le pays soit majoritairement francophone, l’anglais et le français sont les deux langues officielles du Cameroun.

En octobre 2016, les avocats et les enseignants des provinces anglophones ont déclenché des grèves, car ils exigeaient que le statut de l’anglais, en tant que langue officielle, soit respecté. Au lieu d’essayer de trouver des solutions aux griefs soulevés, le gouvernement a plutôt usé de la force pour bâillonner toutes les voix dissidentes. Les choses ont très vite dégénéré, et des revendications, qui étaient somme toute légitimes, se sont muées en conflit armé.

Aujourd’hui, le Cameroun est divisé, et nous avons besoin d’un nouveau leader qui va apaiser les tensions. Le président actuel, qui est au pouvoir depuis 37 ans, n’est pas l’homme de la situation. J’ai perdu foi en son habileté à restaurer la paix et la prospérité au Cameroun. Son bilan à la tête du pays est tout simplement catastrophique.

Pensez-vous que votre musique aura un impact sur les fléaux  économiques et sociaux qui sévissent dans votre pays?

J’ai écrit L.E.F. 2019 parce que mon pays traverse une grave crise politique. Je ne pouvais pas rester indifférent. Il fallait que je fasse quelque chose. Je ne pouvais pas me taire, car garder le silence, c’est se déclarer complice. J’ai donc décidé de m’exprimer en chanson. 

Évidemment, je suis très lucide: L.E.F. 2019 ne changera pas le monde, c’est une certitude. Cependant, à travers cette chanson, je me suis dissocié de ce régime qui martyrise mon peuple depuis 37 ans.

Avez-vous des projets qui vont sortir dans un futur proche?

Alors que les gens sont en train d’écouter Ton Préféré, je suis déjà en train de travailler sur le prochain album. Pour moi, la musique est une obsession, et je suis toujours en train d’essayer de me surpasser. Il faut que la chanson d’aujourd’hui soit meilleure que celle d’hier, et il faut que la chanson de demain soit meilleure que celle d’aujourd’hui. C’est cette constante envie de me surpasser qui me pousse à sortir des albums régulièrement.

Je ne sais pas quand le prochain album sortira, car le projet est toujours à un stade embryonnaire. Cependant, je peux vous annoncer que je vais sortir des clips au cours des prochains mois. Je vais également essayer d’organiser une tournée. Restez branchés!